Il y a quelques semaines un client m’a prévenue par mail qu’il m’appellerait sous peu, depuis les États-Unis où il est expatrié. C’est un Français, client de la première heure, que j’accompagne dans ses nombreux changements professionnels et personnels.
Lorsqu’il a besoin de m’appeler, cela signifie qu’il vit une période délicate : questionnement ou changement ou situation de mal-être. J’ai le privilège d’être sa coach préférée et il me fait l’honneur d’être mon premier client américain (il en a pris la nationalité).
Le coup de fil a lieu durant une heure environ. Nous faisons le point sur sa situation : il me raconte ce qui a évolué depuis l’automne dernier, date de son dernier appel outre-atlantique.
Il a « tout pour être heureux » : un job de rêve (Directeur Général de tout le Nord-américain d’une multinationale, CEO comme on dit aux US), il gagne très bien sa vie. Il exauce son rêve de gamin en jouant au businessman (sic), toujours en partance entre deux avions. Il adore les gadgets haute technologie et maîtrise les réseaux sociaux. Il a eu plusieurs belles femmes à son bras qui ont fait sa fierté de mâle (sic). Il a appris le russe à l’époque où il était muté en Russie et fréquentait une Slave. Il a ensuite appris l’italien pour séduire une belle Italienne aux yeux verts. Il est actuellement divorcé d’une Française avec qui il est resté très ami et fréquente depuis quelques mois une Américaine qu’il adore. Il n’a pas d’enfant.
Alors quoi ? Qu’est-ce qui se passe, me direz-vous ?
– Nathalie, j’en ai marre de cette vie !
– Que se passe-t-il ?
– J’ai fait le tour de cette vie-là, ça ne m’amuse plus. Tous ces problèmes à régler tout le temps, j’en peux plus.
– Oui, je t’écoute.
Il me raconte dans un seul souffle ce qui l’encombre : son travail (« …en plus j’ai un procès sur le dos pour harcèlement, pas du tout justifié… »), sa vie amoureuse (« elle vit à New York, je vis dans le New Jersey, aucun de nous ne veut lâcher son confort pour vivre ensemble, on n’avance pas… »), l’Amérique (« c’est la crise ici, j’ai envoyé plus de trois cents CV pour changer de job, mais plus tu montes dans l’échelle sociale, plus les postes se raréfient… »), la France (« pfff, mes parents ne m’ont jamais compris, j’ai rien à faire là-bas… »), ses vieux potes (« on s’est perdu de vue, et puis ils sont tous mariés avec enfants…. »), ses amis américains (« on s’pose les mêmes questions en ritournelle, ‘sont pas marrant à force… »), ses choix (‘j’arrive à la quarantaine, à quoi ça rime tout ça…?).
Je reformule son mal-être, il acquiesce : « …En fait, je crois que j’ai des problèmes de riches. J’ai accumulé, j’ai tout ce que je veux et je ne sais plus ce que je veux. J’ai peur de perdre ce que j’ai acquis. Moins je veux lâcher, plus je me sens prisonnier. » Son jugement sur lui-même est lucide mais cela reste un jugement et je ne veux pas en rester là.
Par ailleurs, je me demande s’il ne fait pas un burn-out. Je lui demande ce qu’il aimerait faire dans l’absolu s’il n’était pas plongé dans ces contingences : « j’aimerais être sur une plage et faire des cocktails à longueur de journée. Ne plus avoir de responsabilités, ne plus me poser de questions. Finis les problèmes qui me collent à la peau, et puis être sous le soleil de Floride, j’en ai marre de c’temps de m… ici ».
Bon, je constate qu’il a encore des envies, des désirs, ce n’est pas une dépression.
– Et si tu prenais un congé sabbatique ? Tu dis avoir de quoi vivre pendant quelques mois.
– Oui, c’est prévu, je pars en vacances une semaine en fin de mois, ça va nous faire du bien, ma compagne et moi.
– Ensuite ? Comment tu vois les choses ?
– J’en ai aucune idée… Je fais du sport le samedi, je rentre après le footing, et ensuite ma journée s’étire et je n’ai envie de rien. Je n’ai plus envie de lire, marre de ces mauvaises nouvelles…. Mes amis ne me font plus rire. Quand ma compagne est chez moi, on n’a pas grand-chose à se dire, fatigués tous les deux de nos semaines harassantes. Je faisais de la photo avant, j’aimais bien partir avec mon appareil et prendre la ville sur le vif. Plus envie. Même la drogue ne me fait plus planer… Peut-être que je devrais faire un enfant… ça me donnerait un but…
Je le laisse un temps avec cette pensée-là. Il réfléchit, reprend ses propos dans le détail, les étoffe, s’arrête, réfléchit à nouveau. Beaucoup de ce qu’il a dit jusqu’à maintenant me fait penser à un blocage (volontaire ?), comme s’il s’était immobilisé à un point de sa vie.
– C’est bientôt ton anniversaire… ?
– Arrête, j’ai peur !
– Peur de quoi ?
– Quand je vois une mamie dans la rue, j’ai une boule d’angoisse, j’t’assure ! J’ai peur de vieillir, j’ai vraiment peur de devenir un vieux con.
Il m’expose ses peurs, ses inquiétudes. Lorsqu’il commence à se répéter et tourne en boucle, c’est qu’il a vidé le plus gros pour l’heure.
Il est très dans le mental, c’est un cérébral qui se pose beaucoup de questions et, en cette période de trop-plein, ce travers fonctionne à plein : il overthinke, il rumine. Je veux l’emmener dans son cerveau droit, celui de l’intuition, de l’imagination, du lâcher prise.
Je lui fais une proposition :
– Tu veux bien maintenant prendre une grande inspiration et te concentrer sur ton souffle ?
Il me suit dans cette suggestion que je lui fais au téléphone. Il respire profondément à plusieurs reprises, son souffle s’apaise. J’entends son sourire, ses sourcils semblent se défroncer. Comme je le sens relâché, je l’emmène vers une visualisation créatrice pendant quelques instants.
– Comment tu te sens ?
– Je me sens mieux, ça m’a fait du bien de parler de tout ça avec toi.
– Qu’est-ce qui te ferait plaisir maintenant ? Comment pourrais-tu visualiser ton bien-être ?
– …Tiens, j’ai une image qui me vient… j’aimerais explorer mon côté artiste. C’est vrai ça, quand j’étais petit, j’étais un peu artiste, je n’ai jamais exploré cet aspect de ma personnalité.
(…)
– Nous arrivons à la fin de notre séance. Avant de couper la communication, je te propose un truc à essayer : quand tu sens que ce que tu fais n’a aucun sens, ou quand tu te sens mal, pratique cette technique : tu stoppes ce que tu es en train de faire (le genre de chose que tu fais « parce que ça se fait », « parce qu’il faut le faire »). Je te propose de stopper ce que tu fais plutôt que « faire plus de la même chose ». Tu t’arrêtes, tu t’assoies là où tu peux et tu respires calmement sans plus rien faire. Tu ne fais strictement rien. Tu te poses là et tu attends… rien. Tu n’attends rien, tu fais juste silence en toi. Et accepte ce qui se présente. Si tes pensées reviennent à la charge, laisse-les aller et venir et continue de respirer calmement. Tu fais cela plusieurs fois par jour s’il le faut. Fais le silence en toi et respire. Tu veux bien essayer ? L’heure arrive à sa fin (il est 22 heures en France), tu me rappelles prochainement pour me dire où tu en es.
– Je pars en déplacement toute la semaine, je te rappelle d’ici une dizaine de jours.
Il n’a pas (encore) rappelé. « No news, good news ». Je suppose que le mal-être est passé, qu’il ne fait plus souffrir momentanément.
Pendant combien de temps encore le physique va supporter les diktats du mental ? A quel moment inattendu d’autres signaux vont apparaître, plus impérieux ?
J’ai beaucoup d’affection pour ce client, je serais vraiment contente s’il me disait : « ça y est, Nathalie, j’ai changé de vie, j’ai trouvé une autre voie qui me convient vraiment bien, je suis heureux ! »
Je sens que ça ne sera pas le cas prochainement, il n’a pas (encore) exploré une autre dimension de sa vie, essentielle à tout équilibre de vie.
A l’heure où je relis ce texte, une question me traverse l’esprit – entendu dans un film (Arbitrage de Nicholas Jarecki) : « Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour préserver vos acquis ? »
Autrement dit :
– qu’êtes-vous prêt à sacrifier pour conserver tout ce que vous avez bâtit ? (Qui et Quoi allez-vous sacrifier ? Est-ce que cela en vaut vraiment la peine ?)
Ou plutôt :
– qu’êtes-vous prêt à lâcher pour privilégier votre bien-être intérieur ? Comment pourriez-vous trouver l’équilibre ?
Verre à moitié plein ou à moitié vide ? La question n’est pas là ! Videz tout le verre, conservez le contenant – c’est vous – et remplissez-le par d’autres expériences, de celles qui vous rendent vivants 😉
Je vous souhaite le meilleur 🙂
Site / blog : www.etreproactif.com
Roman : « toi ou la vraie vie«